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Sur cette vidéo, Tim Hardin a 33 ans et il en paraît bien 15 de plus. Il ne lui reste plus que 6 années à vivre, durant lesquelles il décrochera de l’héroïne, grossira ostensiblement, perdra pas mal de cheveux et mourra d’une overdose dans un appartement de LA, alors qu’il avait retrouvé l’inspiration et venait d’enregistrer deux nouvelles chansons. Ses deux malheurs, dit-il, ont été de céder ses royalties à d’autres et d’arrêter la drogue : pas de fric, alors que d’autres s’en faisaient grâce aux tubes écrits par lui (pas un album de crooner sixties et seventies sans une de ses chansons – Lady came from Baltimore, Black Sheep Boy…) et trop de dope (ou pas assez, on ne sait jamais vraiment quand il s’agit d’écrire des chansons). À 39 ans, donc, Tim Hardin crevait, misérable et laissait tout de même une dizaine d’albums dont les 5 premiers, au moins, sont indispensables – notamment le magique Suite For Susan Moore, atmosphérique et amoureux heurté. Sur la vidéo, ici, il chante avec le mannequin Twiggy, qui a laissé pousser ses cheveux. Ça lui va bien, elle lui va bien aussi.

Philippe et moi avons tous deux sorti des livres chez le même éditeur (Le Mot Et Le Reste) et écrit pour le même journal. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, en vrai, mais j’ai souvent eu l’impression de le croiser. J’avais même reçu une lettre, il y a 15 ans, d’une fille qui était sa copine et qui, à la lecture de mes papiers, m’écrivait en plaisantant, que, vu mes goûts, je devais être lui sous un pseudonyme. Ces jours-ci, Philippe travaille sur un livre autour du folk. Et il a eu la gentillesse de m’adresser cette liste commentée, reprenant quelques essentiels du genre, avec un texte d’introduction – à vous, maintenant, d’aller dénicher les morceaux, les albums, les vidéos… Philippe Robert : « Une liste plutôt centrée sur le folk-rock et l’acid folk anglo-saxons des années 1960 et 1970, débouchant toutefois sur le free folk des années 2000. C’est-à-dire très précisément ce dans quoi je baigne aujourd’hui, du fait de l’écriture à quatre mains de « Folk & Renouveau, une balade anglo-saxonne », composé avec mon ami Bruno Meillier, qu’on connaît surtout comme musicien, organisateur du festival Musiques Innovatrices à Saint Etienne et label manager d’Orkhêstra International. Ce livre couvrira la période 1927-2011, énormément de choses me touchant dans le folk, de John Jacob Niles à Martin Simpson, de Roscoe Holcomb à David Crosby, de Roy Harper à Steve Tilston (l’autre Nick Drake si c’est possible). Avec Bruno cela fait déjà quelques années que l’on s’est retrouvé autour de cette musique, le festival qu’il programme ayant même offert l’occasion d’écouter le génial Simon Finn. »

Sandy Bull « Fantasias For Guitar & Banjo », Vanguard, 1963.
L’un des chocs musicaux du guitariste Sandy Bull aura été la découverte du free jazz d’Ornette Coleman, via son ami le bassiste Buell Neidlinger, qui jouait alors avec Cecil Taylor. D’où l’idée d’enregistrer un LP instrumental, dont une des faces est un duo avec le batteur Billy Higgins, dans une veine évoquant le duo Mick Flower / Chris Corsano. « Carmina Burana » de Carl Orff est aussi repris, et l’on se demande à quel point Matthew Young a pu en avoir ou pas connaissance au moment d’en enregistrer sa version sur le très bon « Traveler’s Advisory » dans les années 1980.

Pat Kilroy « Light Of Day », Elektra, 1966.
Un des grands disques d’un label qui n’en manque pas. Assez proche de ce que fera Tim Buckley à l’époque de « Lorca » et « Starsailor ». Influencé par Gurdjieff, la musique d’Ali Akbar Khan et les percussions africaines – entre autres. Pat disait chercher de nouveaux horizons… Sous son nom, c’est malheureusement son seul disque. Le jour de Noël 1967, Pat disparaît des suites d’une grave maladie. On lui doit aussi un disque psyché en trio avec The New Age et son amie Susan Graubard.

Dino Valenti « Dino Valente », Epic, 1968.
Les soi-disant fans de Quicksilver Messenger Service ont toujours détesté ce chanteur au profit du guitariste John Cipollina, parce qu’ils préfèrent les longues improvisations planantes aux chansons. En ce qui me concerne ils ont tort. Ecouter ce disque devrait réconcilier les réfractaires, enfin j’espère : quelle voix, et quelles compos ! Et puis certains passages des Quicksilver postérieurs à « Happy Trails » valent largement le détour. C’est un peu la même chose qu’avec Fleetwood Mac après le départ de Peter Green, la fameuse période « Welch » vilipendé çà et là par les amateurs de blues-rock purs et durs.

Robbie Basho « Venus In Cancer », Blue Thumb, 1969.
A la différence de John Fahey, Robbie Basho reste à découvrir. Pour feu-Jack Rose l’histoire de la douze cordes commençait et finissait avec Robbie Basho. C’est excessif mais pas loin d’être vrai. « Cathedrals et Fleur de Lis » est un des chefs-d’œuvre du genre. Et quand Robbie chante c’est aussi beau que du Yma Sumac. Pete Townshend l’adorait. Jimmy Page connaît ce disque par cœur. James Blackshaw et Steffen Basho-Junghans s’en sont approchés dans les années 2000 : « River Of Heaven » du premier porte bien son nom, c’est une œuvre majeure.

Michael Chapman « Fully Qualified Survivor », Harvest, 1970.
L’un des trois albums préférés de John Peel en 1970. Grosse influence sur David Bowie qui en débauchera le second guitariste, à savoir Mick Ronson, pour ses Spiders From Mars. A l’époque Bowie écoutait Tyrannosaurus Rex, Comus, Biff Rose et ça s’entend jusque sur « Hunky Dory » : la classe ! Aujourd’hui Thurston Moore redécouvre Michael Chapman, lui offre d’improviser à la gratte, et ça se trouve sur Ecstatic Peace!.

Perry Leopold « Experiment In Metaphysics », WS, 1970.
Un disque autoproduit, distribué gratuitement aux passants et enregistré en une journée dans le sous-sol d’une boutique de Philadelphie. La pochette : juste une étiquette collée, portant mention de l’auteur et du titre de la chose. Un disque parait-il réalisé sous LSD (la légende ?), sous influence très certainement : et selon Perry il s’agit de prendre conscience qu’éveil et chaos sont des éléments inséparables d’une même réalité. Grosse influence dans les années 2000 sur Daniel Higgs.

Peter Walker « Long Lost Tapes 1970 », Tompkins Square, 1970.
En fait ce disque n’est sorti qu’en 2009, sauf qu’il a été enregistré en 1970 pour paraitre cette année-là sinon celle d’après, mais pas quarante ans plus tard ! Timothy Leary disait de ce guitariste qu’il mettait en vibration le code génétique de l’humanité, et c’est à ce titre qu’il lui a confié d’accompagner musicalement des initiations au LSD. La vie de Peter Walker est un roman. Aujourd’hui il joue du flamenco qui n’appartient qu’à lui, un peu comme Josephine Foster avec son mari Victor Herrero. Ben Chasny, de Six Organs Of Admittance, le préfère encore à Robbie Basho et John Fahey (ça exagère pas mal chez les virtuoses de la guitare sèche). Et ces bandes perdues oscillent entre raga psyché et free jazz tout cool. Avec Mark Whitecage, Perry Robinson, Badal Roy…

O.W.L. « Of Wonderous Legends », Locust, 1971.
En 2004, Dawson Prater, du label Locust, découvre dans un dépôt-vente de Chicago un test pressing de ce groupe relativement mystérieux que je conseille vivement aux fans de Pearls Before Swine de la période ESP. Pochette superbe, à la hauteur de l’inspiration revendiquée : William Blake, Ingmar Bergman, le romantisme victorien, et les visites au Louvre et à Cluny afin de se ressourcer aux mythes et symboles de la vieille Europe. Cet album a été pensé comme une « épopée naïve » débarrassée de toute niaiserie

Davy Graham « Broken Biscuits », Les Cousins, 2007.
On pourrait faire coïncider l’émergence du folk-rock britannique avec la sortie d’un influent EP réalisé par le guitariste Davy Graham en 1961. Dessus se trouve « Angi » sur lequel tous les guitaristes, y compris Bert Jansch, John Renbourn et Richard Thompson, se sont exercés les doigts. Dans son jeu de multiples empreints se mélangent, faits au british blues d’Alexis Korner, au folk celtique, à la Renaissance élisabéthaine. Sans oublier la musique marocaine et les gammes indiennes. Tout ceci est à l’honneur sur ce disque tardif d’un Davy techniquement diminué, mais extrêmement touchant, comme Billie Holiday sur la fin de sa vie.

Dredd Foole & Ed Yazijian « That Lonesome Road Between Hurt And Soul », Bo’ Weavil, 2009.
L’un des grands disques du free folk. L’inspiration principale en est le yodle halluciné de Tim Buckleyy sur « Lorca ». L’on songera aussi à certaines impros d’Erica Pomerance pour le label underground new-yorkais ESP, ou à MIJ, pourquoi pas ? A écouter en priorité les quinze minutes ici consacrées à Tim Buckley, époustouflantes. Et le démarquage d’avec « Someone Said » de Jay Mascis And The Frog. Parfois David Crosby à l’époque de « If I Could Only Remember My Name » n’est pas loin non plus.

Vos meilleurs amis, parfois, sont des disques ou des livres – des films aussi, mais plus rarement parce qu’ils sont trop partagés par d’autres. Un disque, un livre, ça ne parle qu’à soi et lorsqu’on peut s’y perdre, surgit aussitôt la même impression de perte qui existe dans une conversation avec un ami, un amant, une figure qui passe. Metal Mountains, à la première écoute dans un magasin de la rue Keller, m’a fait cette impression de renouer avec quelqu’un que j’aurais aimé revoir plus tôt et qui réapparaissait, bavard, intime, scélérat comme avant. Une voix, des guitares, des échos électriques, des synthés épars, une atmosphère alanguie mais psychédélique : cet album, mené par des anciens du groupe freak folk Tower Recordings, évoque la même fragilité qui habitait les deux premiers, beaux et sidérants, albums d’Espers. Mais en moins techniquement maîtrisés, moins sentimentalement démonstratifs : ici, on est dans un non-dit, un non-joué presque, qui laisse place à un imaginaire où se bousculent les arrangements fantômes, les réverbérations, spectres et contrastes, les couleurs sonores lentes. Peu de soleil, peu de lumière, mais un tourbillon plutôt doux, qui ramène au rêve, aux noctambules. Un disque pour renouer avec les disques, lorsqu’on les a bien connus, aimés, abandonnés, repris, aimés à nouveau.