Leur dernière exposition date de début 2009 et on ne les espérait presque plus, ne serait-ce qu’à cause de la force latente qui caractérisait leur travail durant la deuxième moitié des années 2000, dont ils ont marqué durablement l’esthétique, grâce à leurs dessins faussement artisanaux, réellement tordus. Les dessinateurs de Frédéric Magazine avaient ainsi marqué ces années-là, à force de s’emparer des lieux et des objets (livres, sites, expositions) et de les utiliser comme lieu de dissémination d’une pratique dont l’aspect muet semblait être là pour dissimuler au public les motivations, thèmes ou idées fédératrices derrière chaque nouvelle apparition. A chacun d’interpréter : et cela allait bien avec une époque qui se remettait à peine des traumatismes politiques insondables du début des années 2000.
Les années 2010, pensait-on, nous donneraient envie d’autres choses : photos, dessins clairs, narrations rééduquées, néo-conservatisme face au marasme… Et si ces envies existent et bien, elles ne font que mettre en lumière, enluminer plutôt qu’illuminer d’ailleurs, tout ce qui se trame encore chez Frédéric Magazine et qui relève souvent d’un ordre quasi inconscient, entre une âpreté comme tirée de Bresson et une volubilité quasi pop. Autant de choses qui trouvent leur réalisation dans un livre et une exposition qui s’interpellent plus qu’ils ne s’illustrent. Le livre, d’abord, Frédéric Magazine 4, est sans doute le plus beau et abouti de la troupe : épais, regroupant le coeur du collectif et des invités déjà croisés ici et là (les garçons de Nazi Knife, un ou deux américains…), le livre propose une suite de dessins dont il faut chercher l’auteur en scrutant la couverture, suivre un ordre difficile à distinguer. Tout cela pour aboutir à un ouvrage tout en richesses comme trouvées en terrains inconnus. Graphiquement, les dessins franchissent un pas, ne sont jamais ludiques ou artificiels, mais participent d’une oeuvre qui oscille entre le désir d’étourdir son lecteur, de le frapper presque, et l’envie de lui plaire, tout de suite. Les deux vont de pair, bien sûr, et le livre fonctionne bien grâce à son équilibre de chaque instant comme s’il était parvenu à tenir le fil entre bourgeois et racailles, punks et hippies, nerds et dillettantes, sourds et muet, Bresson et Sellers.
Graphiquement, l’exposition consacrée au livre est du même acabit : elle frappe immédiatement, faite de dessins épatants et rythmée avec minutie, parvenant à surprendre sans cesse, tout au long de son parcours. Haut et beau niveau de dessin. Pour autant, après avoir eu le livre entre les mains, les dessins mis sur les murs, sans mention de dessinateur pour aucun (à part ceux qui sont signés dans l’oeuvre elle-même), semblent désirer sortir de l’anonymat. L’absence des noms, au fond, n’est pas équilibrée par la puissance des dessins : elle les défavorise plutôt et semble indiquer comme une absence de liens, une absence d’hyperliens mêmes. Au-delà de ce qui se déroule entre les dessins, l’envie est forte de tisser des toiles d’un auteur à l’autre, de comprendre des cheminements, des échos, de baptiser certaines émotions. Le collectif est fort, l’exposition est excessivement belle, tout comme le livre – Manque sans doute une politique des auteur – ou au moins quelques noms dévoilés.
Galerie Jean-Marc Thévenet 32 rue Montmorency 75003 Paris