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Archives Mensuelles: juillet 2010

Dix ans déjà que ce morceau de Coil me trotte dans la tête, revient fréquemment, comme une évidence, une obsession belle et charmante, qui met de l’ordre dans les idées, plutôt que le contraire. D’autres révèreront Coil pour d’autres raisons, d’autres grands disques, mais ce morceau, sa mélodie, son chant, ses échos et ses synthés, son ambiance de monde endormi, de sombre bonheur enfoui, résument tout ce que j’aime chez ce groupe trop vite disparu, trop méconnu encore. Parfois, ce morceau, comme une poignée d’autres, revient à point nommé dans ma tête pour illustrer quelque chose, souligner un moment alors que je ne m’attendais pas à son retour, justement là. Et puis, l’autre soir, il ne m’a pas quitté, s’est mis en boucle durant les deux heures et trente minutes que durait Inception, le film de Christopher Nolan avec Leo DiCaprio. Ce film, en quelque sorte, ne me semblait rien d’autre que l’adaptation sur grand écran de ce morceau si élégiaque de Coil, tentant d’en saisir par la fiction tous les paradoxes, l’amplitude et la profondeur, mais sans y parvenir vraiment. l’univers de Coil, après tout, est plus proche de celui de Cronenberg et Inception évoque Existenz, sans sourciller. Surtout, le film m’était pénible par sa musique, soulignant chaque geste, chaque fait, sans subtilité, ni délicatesse. Il faudrait remettre le film à plat, y incruster la musique de Coil : cela lui ferait sans doute gagner de la subtilité et de l’implicite.

En 2010, on ne sait plus exactement où l’on est, où l’on en est avec la musique, les musiciens et les disques. On ne le sait plus, parce que, d’un coup, tout se passe comme si le temps s’était replié sur lui-même et que toutes les époques se confondaient, se superposaient, devenaient extrêmement visibles d’un seul coup, toutes ensemble. Et du coup, par cette visibilité donnée à tous et toutes, plus rien ne semble daté, issu d’un moment donné. C’est ce que je me dis en écoutant le coffret qui reprend les 3 albums de PE Hewitt, datés de la belle époque 1968-1970, sorti sur Now Again, sous-division du label Stones Throw sur lequel officie Madlib. Madlib qui a à son actif plusieurs disques oscillant entre hommage et pastiche malin à ses héros des années 70, en citant certains sciemment (Stevie Wonder, Weldon Irvine) et en inventant d’autres (Monk Hugues…). Du coup, cette redécouverte soudaine de 3 albums obscurs d’un inconnu, PE Hewitt, en dit long sur 2010. D’abord parce que cette redécouverte s’inscrit dans un millier d’autres découvertes issues des années 1930 à 1980, qui n’arrête plus d’arriver à nous, tous genres confondus (du blues rural à la new wave goth, au funk indé, etc.) – elle est un indice du kaléidoscope musical qui n’arrête plus de nous parvenir depuis le passé et qui avait été longtemps occulté par les artistes les plus connus. Ensuite, parce que, dans le fond, on se dit, en arrière-pensée, que ce disque n’est peut-être pas vrai, que les trois albums qui le composent auraient tout aussi bien pu être faits aujourd’hui, par Madlib ou un autre. Le temps se confond avec lui-même. Enfin, se pose la question du temps : qui a encore le temps, aujourd’hui, d’écouter attentivement toute cette musique ? Finalement, j’ai parfois envie de tout arrêter, pour ne plus écouter qu’un album de John Coltrane, un disque des Beach Boys, etc. En 2010, je comprends un peu mieux le titre de ce disque obscur de Thurston Moore : Pleave just leave me (my Paul Desmond), avant de remettre un disque sur la platine. Un disque nouveau, forcément.

Ceci est la première page d’un livre de Gilbert Sorrentino, Steelwork. Sorrentino est un immense écrivain dont plusieurs livres ont été réédités par l’impeccable éditeur Français 100 Pages. Steelwork, dit-on, est son chef d’oeuvre. Il y a aussi Salmigondis, très bon, mais qui, dans mon souvenir, ne comporte pas une entrée en matière aussi parfaite, qui tient tellement seule, debout dans ce qu’elle raconte et affirme : Sorrentino vise juste, et serré.