Vincent Vanoli, à propos de Songs To Learn And Sing

Les livres de Vincent Vanoli sortent d’habitude chez l’Association. Il y en a d’ailleurs eu deux ces derniers temps, dont le Passage aux Escaliers, très réussis. Mais son petit dernier est un projet un peu particulier, qui s’intéresse à la musique : Vanoli a mis en images quelques chansons et demandé à des gens qui écrivent sur la musique de faire des textes : Philippe Dumez, Everett True, notamment, sont de la partie. Entretien par mail avec le dessinateur, qui raconte son projet.

1. Songs to learn est un livre sur le rock et la musique : est-il inspiré par d’autres livres de dessins ou de BD sur la musique ?
J’aime bien Crumb et ses récits sur le blues ou les récits de souvenirs et d’impressions intimistes sur le rock d’Olivier Josso qu’il avait commencé il y a une quinzaine d’années une série abandonnée ensuite dans la revue Jade. C’était une évocation, toute en sensibilité de son goût pour le rock. J’avais jamais rencontré cette mise en forme et ça sortait des poncifs rock’n’roll & bd. Menu avec Lock Groove a un bon feeling également, j’aime parce que ça prend aussi la forme d’un récit autobiographique, c’est synthétique, jeté, sincère. J’aimais bien aussi quand j’étais plus jeune les Closh de Dodo et Ben radis, là c’était les clichés du rock, ok, mais c’était surjoué, fun, avec du recul. Ce que je voulais faire là de mon côté, c’était plutôt mettre ne scène une saynète à partir de certains morceaux choisis, juste des saynètes, avec de la vie, correspondant aux images que je me fais sans doute quand j’entends certains morceaux. Donc, ça voulait dire un dessin, pas une histoire en bande dessinée.

2. Comment as-tu choisi les chroniqueurs du livre ?
J’ai sollicité des amis qui écrivent et qui connaissaient bien la musique des groupes dont j’ai illustré des morceaux. J’ai connu ces personnes à différentes périodes de ma vie, depuis l’adolescence à maintenant. C’est des copains, ils avaient déjà écrit, c’était bien. D’illustrer en texte mes dessins, c’était un cadeau qu’ils m’ont fait. Je trouvais rigolo que ça soit des textes qui illustrent des dessins pour une fois. Ils pouvaient écrire comme ils voulaient du moment que ça avait un rapport avec le morceau en question ou le groupe ou l’ambiance du morceau. Tous se sont impliqués en restituant pour beaucoup des choses de leur vécu personnel. Au départ, je pensais qu’ils allaient davantage partir sur des fictions, mais comme ils ont fait, c’est bien. Je suis assez fier qu’Everett True aie accepté de faire des textes, j’avais fait des tas de dessins dans ses revues Plan B et Careless talk Cost Lives qu’il publiait en Angleterre dans les années 2000. Son approche des sujets est souvent décriée pour son acharnement à se mettre en scène dans ce qu’il raconte, mais il mérite d’être découvert comme grande gueule et comme « rock critic » pour son mélange d’ingénuité et de prétention démesurée. J’espérais que sa présence à nos côtés donne du poids en crédibilité au projet de toute façon. Les autres: Calou  est un copain de ma ville natale dans le nord de la Lorraine, Fabrice Voné est de Colmar mais il vit à à Perpignan et écrit des chroniques sportives pour l’Indépendant, enfin, Philippe Dumez, qui vient de sortir les textes de « 39 ans 1/2 pour tous » chez Inmybed.

3. Quelle part de nostalgie décèles-tu dans le livre, qui évoque des groupes qui, pour la plupart, n’existent plus ?
Si ces groupes n’existent plus pour la plupart, je ne les regarde pas forcément avec nostalgie, j’ai 45 ans, mais je n’ai découvert certains que depuis 10 ans (Subway Sect, The Au Pairs..), d’autres en effet reflètent une nostalgie (Undertones, Stranglers, Big Star, le Velvet, Joe Jackson),je les découvrais dans le courant des années 80, j’avais 20 ans. J’ai toujours eu un certain retard à l’allumage parce que je suis resté très longtemps coincé sur les Beatles, ça me suffisait jusque là… N’importe qui reste attaché à l’époque musicale où il découvre les choses. Ces groupes font partie de ma vie comme de celles de beaucoup de gens, ce sont des classiques du rock indé, ce n’était pas prémédité de choisir ces classiques, je l’ai fait sincèrement et oui, c’est drôle on peut croire que j’ai voulu baigner dans une certaine nostalgie. Enfin, c’est naturel d’être en partie nostalgique de la période où l’on s’est ouvert à la vie et en même temps de la bande son qui l’accompagnait. Du coup, on peut même se retrouver à réhabiliter certaines choses au regard de ce sentiment, ce que raconte dans le recueil Everett True en réécoutant Boney M aujourd’hui. Hey, mais j’ai fait un petit effort en rajoutant des images de groupes plus récents comme les Wave Pictures ou the Street. Des années 90, il y a bien Smog, je crois que c’est tout?

4. Comment choisis-tu la façon dont tu vas dessiner une chanson ?
J’ai choisi des groupes qui racontaient des histoires dans leurs chansons. C’était la donnée invariable. A partir de ces histoires, je devais voir émerger une image, une saynète. Ensuite je voulais faire une belle composition. Je me suis mis à traduire des paroles en anglais pour les faire figurer en français sous l’image. ça sort les paroles de leur contexte et elles fonctionnent davantage avec l’image qu’avec la source originale, c’est à dire la chanson. J’ai toujours bien aimé les chansons avec des petites histoires dedans, en particulier avec un point de vue sociologique et justement c’est avec ces groupes dits « classiques » des années 70, 80 que j’ai trouvé le plus de matériau, je suis en phase avec cette esthétique: le rock comme prétexte à des petites chroniques oniriques, sociologiques, naturalistes, engagées sur le quotidien. J’aurais pu faire un bouquin entier juste avec les premiers Joe Jackson. J’aime beaucoup mon dessin sur Up the Junction de Squeeze ou celui sur Hefner.
Cela dit, certains des chroniqueurs m’ont demandé de faire certains dessins parce qu’ils avaient envie d’écrire un texte sur un morceau en particulier et là, ce n’était pas forcément des saynètes sociologiques de la vie quotidienne que j’ai du mettre en image (je pense au morceau de Boney M évidemment)

5. Quelle part la musique joue-t-elle dans ton travail, au-delà de ce livre-ci ?
Ce qui m’intéresse et ce que j’avais déjà essayé de faire en bande dessinée cette fois, était de travailler sur le matériau de l’imaginaire ou des biographies relatives à certains groupes ou artistes. Je ne veux pas m’impliquer ne me racontant directement dans des récits sur la musique, ça ne me va pas. Mais travailler sur l’imaginaire ou des éléments biographiques, le matériau potentiel qu’il représente pour en tirer une petite histoire, là oui, ça me va. J’avais procédé ainsi pour quelques pages sur Nick Drake dans « Rock Strips » et de la même façon dans un recueil de petites histoires autobiographiques qui s’appelle « Le Passage aux escaliers » paru à L’Association où j’avais intercalé des récits à propos de Johnny Cash, Syd Barret ou Vic Godard. Pareil avec quelques pages inspirées complétement par l’imaginaire relatif aux Feelies il y a quelques années dans le numéro 39 de la revue Lapin: là, je crois que j’ai été le plus proche de ce que j’aurais jamais voulu faire, c’est à dire installer une atmosphère avec un rapport sybillin, presque non-dit, subliminal au groupe. Mon recueil actuel sur les chansons mises en image est du coup éloigné de cet esprit.
La musique influence aussi mes pages de bande dessinée qui n’ont pas de rapport thématiquement à la musique, par exemple une série de dessins pleine-page dans la forêt mexicaine qui termine « la route des monterias » a été dessinée en écoutant l’album « Everybody’s knows it is nowhere » de Neil Young en boucle et ça s’accordait parfaitement aux sens de mon histoire. J’aime les atmosphères, je travaille sur les atmosphères, mes récits ne sont finalement que des atmosphères, les personnages y sont des pantins. Pour « L’attelage », l’atmosphère était celle du folk anglais de la fin des années 60. « La clinique », je suis du côté de Nick Cave ou d’une musique déconstruite, expressionniste. Des choses venues de la littérature s’infiltrent aussi de la même façon dans ces livres.

6. Dessiner une chanson a-t-il changé ton rapport à la musique ? Et au dessin ?
Pour le coup, l’exercice m’a donné l’occasion d’adapter mon dessin vers un style (presque) coloré (c’est non plus du noir et blanc avec de la matière, mais des associations de tons gris colorés obtenus avec des pastels à l’huile). On ouvre un peu les fenêtres en prenant de nouvelles directions graphiques et c’est parce que les dessins paraissaient originellement dans la revue Novo, une revue de l’Est de la France, que je me suis aussi adapté en vue d’une parution en magazine.
En tout cas, c’est drôle: de dessiner une chanson, d’en avoir tiré une saynète m’a permis dans un certain sens, de me donner l’impression que j’ai participé à l’écriture du morceau. Mais toutes ces images sont vraiment des hommages, je voulais vraiment rendre hommage à ces groupes qui parlent de la vie de tous les jours, j’espère que c’est un plaidoyer pour cette vision esthétique du rock.

1 commentaire
  1. « Songs To Learn And Sing » à l’air d’être encore un très bon album de Mister Vanoli !!
    J’avais adoré l’an passé « le Passage aux Escaliers » (n°9 de mon top BD 2010 perso), recueil d’histoires courtes où le rock était déjà présent via les figures de Cash, Syd Barrett (excellente histoire)…Interview très intéressante notamment dans le rapport de Vincent Vanoli dessinateur avec la musique, comment elle l’inspire.
    Et un créateur qui dit avoir écouté en boucle « Everybody’s knows it is nowhere” de Neil Young pour dessiner « la route des Monterias » ne peut qu’être Génial !!!!

    Merci pour cet excellent entretien, à +