Une interview d’Atelier Ciseaux – « une future perte de mémoire collective »
J’ai croisé Rémi, l’instigateur d’Atelier Ciseaux, il y a plus d’un an, lorsqu’il sortait un 45 tours des Lucky Dragons, qui compte encore parmi mes singles préférés des années récentes, parfait de la pochette au dernier sillon. Depuis, nous avons correspondu, Rémi a même sorti une cassette de ma musique sur un autre label (le désormais défunt Atthletic Duddes) et a surtout récemment édité quelques singles anthologiques, dont un splendide US Girls et un split avec un morceau de Best Coast. En attendant ses prochaines sorties, je lui ai posé quelques questions sur son label, la musique, internet, le reste. Ses réponses sont enthousiasmantes, elles donnent foi dans ce travail désormais si fou : faire des disques.
#1 Comment est né Atelier Ciseaux ? Quel lien existe-t-il entre le label et tes autres activités (et le label de K7) ?
Tard le soir, pendant un moment d’ennui, devant une Tv ravagée par des fantômes. Ou plutôt après une discussion interminable, un matin gris, pas loin d’une piscine triste. Je ne sais pas, je ne sais plus. A 17
ans, j’y pensais déjà. A 20 ans, j’y songeais encore. A 25 ans, j’en rêvais souvent. J’ai ‘toujours’ eu envie de monter un label. Depuis bientôt 10 ans, une grande partie de mon temps libre – ou occupé – est/ a été consacrée à la musique. Ecrire maladroitement pour des webzines, organiser secrètement des tournées (la dernière en date étant celle de François Virot, en février 2009) ou quelques concerts (Pocahaunted/ Lucky Dragons en 2009) et faire de la promo, parfois professionnellement pour des labels ou agences de communication. Cela a été comme un long brainstorming. Un petit carnet d’idées raturées, quasi occultes. Savoir précisément ce que tu veux faire et surtout, surtout, surtout, ce que tu ne veux absolument pas faire. Je crois qu’A.C. est né simplement, naturellement, voir même banalement. Le label existe seulement depuis fin 2008 mais avec le recul, je suis convaincu que c’est une bonne chose que ça ce soit passé ainsi.
L’idée – concrète – du label date de début 2007, à l’époque on était deux (avec Marine) hantés par cette folle envie de sortir le Lp de FRANÇOIS VIROT. Par la suite, j’ai continué le label seul pendant
quelques mois et aujourd’hui on est à nouveau deux (avec Philippe).
Entre Atelier Ciseaux et Atthletic duddes, le label K7, il n’y a jamais eu de rapports consanguins. Atthletic duddes a été pensé/ crée pendant un moment de ‘suspension’. Le Lp de François Virot, la première sortie d’AC, prenait plus de temps que prévu, alors, au lieu de m’impatienter et d’imaginer un futur sans cesse en retard, je me suis lancé dans ce ré-enregistrement compliqué de cassettes usagées.
J’aimais l’idée de ces splits improbables ou inespérés, de ces K7 abandonnées à la poussière, de peindre, de découper, de me couper, de bandes magnétiques qui cassent, de cette spontanéité, de relations
quasi ‘intimes’ avec l’objet. J’aimais également cette notion de projet sans réel visage, sans nom d’individu. Mettre simplement en avant l’idée. J’ai commencé en créant un myspace et en écrivant de
manière anonyme à quelques groupes. Je ne m’attendais pas à avoir autant de retours, de commandes, de personnes motivées pour faire un artwork. Des groupes, des gens comme Astral Social Club ou él-g, par
exemple, m’ont directement contacté. On a même été ‘Thurstoned’, ahah ! Après cette commande de Thurston Moore, je me suis dit que je pouvais arrêter. Non, plus sérieusement, j’ai décidé d’arrêter A.D.
parce que je commençais à un peu trop le négliger au profit d’Atelier Ciseaux. Et puis, surtout, parce que je l’ai toujours considéré comme étant éphémère. Un chouette moment. Et puis il reste encore les deux
dernières cassettes à sortir (Felicity Mangan et Motherfucking).
#2 Comment définirais-tu l’esthétique du label ? qu’est-ce qui t’attire dans un groupe ou une chanson que tu édites en 45 tours ?
Toute tentative d’explication – ordonnée – serait un échec. Le label est en quelque sorte un miroir de ce que tu es, de ce que tu aimes. Et pas uniquement musicalement. Quasi fusionnel, quasi possédé. Je n’ai pas envie d »intellectualiser’ une démarche qui finalement est très instinctive, viscérale.
On aime prendre soin des détails, écrire de – j’espère – jolies news letters, le papier recyclé et la sérigraphie, parfois. On nous ‘traite’ souvent de label vinyle mais – j’ai vérifié, ahah – on n’a jamais signé de pacte avec le microsillon. Ou alors de manière subliminale. On a déjà sorti un dvd-r avec Andy Roche et il y a une K7 et un cd de prévus d’ici la fin de l’année. Et c’est pas dit qu’on ne fasse pas – à nouveau – autre chose que de la musique. U.S. Girls et Lucky Dragons ont réalisé leur artwork eux même. Pour la
série de split, les pochettes sont/ seront signées Jérémy Perrodeau.
On a beaucoup aimé son travail sur le premier et comme on veut conserver une ‘continuité’ graphique entre chaque disque, on poursuit avec plaisir l’aventure avec lui. Rien n’est écrit d’avance. C’est
vraiment en fonction des projets. Tant mieux.
Nos premières sorties sont assez différentes les unes des autres : de la pop rugueuse (U.S. GIRLS), le bruits des vagues (Lucky Dragons), des fantômes lo-fi (Best Coast/ Jeans Wilder), de la pop romance
(Terror bird) et de la folk bancale (François Virot). Il y a cette volonté d’ouverture, cette envie d’espace, tout en essayant de garder une certaine cohérence.
Pour ce qui est du choix des groupes/ des chansons, c’est vraiment très simple, se sentir touché. Il y a cependant quelques signes qui ne trompent pas, ou plus. Quand tes proches commencent à te détester
parce que tu écoutes ce morceau en boucle, quand tu imagines déjà la pochette.
Je ne suis pas certain d’avoir très bien répondu à cette question.
Mais je l’avais annoncé, Ahah.
#3 Tu n’as sorti qu’un LP vinyle : pourquoi te concentres-tu sur des
singles ? est-ce un format plus adéquat avec les années 2010 ?
J’ai toujours eu un faible – assumé – pour les singles. Quand j’étais ado, avant même l’ère de la presque moustache, il m’arrivait d’enregistrer un morceau en boucle sur une K7. Face A et face B. J’ai – définitivement – un côté monomaniaque, ‘disque rayé’. Le 7″/ 45t est le format que j’affectionne le plus. Pour son esthétique également. C’est donc, en toute logique, qu’on a décidé de se lancer, après le split Jeans Wilder/ Best Coast, dans une série de split 7″. C’est un fait notoire, l’air du temps est au single. Tout va tellement plus/trop vite, vite, vite. Tu enregistres deux, voire trois morceaux, tu te crées un myspace, tu fais une vidéo, t’es ‘blogué’, ‘pitchforké’, tu sors un 45t et tu pars en tournée. La vitesse de la lumière au
carré. Pour le pire et le meilleur. T’as pas mal de trucs chouettes qui jaillissent de cette urgence. Sûrement éphémères. Et puis ces derniers temps, on assiste à cette frénétique bousculade pour l’objet limité. Enfin, c’est un autre débat, dans lequel je n’ai pas vraiment envie de me lancer. Internet a créé une émulation ‘extra-ordi-naire’, favorisé des rencontres impossibles auparavant, mais à force d’être noyé sous ces ‘vagues-tsunamiennes’ d’informations, de nouveautés, on est en train de s’inventer une future perte de mémoire collective. Pour ce qui est des Lps, c’est aussi une volonté de prendre le temps.
Le label existe seulement depuis deux ans. Mais puisqu’on en parle, on peut annoncer la sortie de notre second Lp, cet automne. ‘Nice Trash’, l’album de Jeans Wilder, avec nos amis de la Station Radar. Et on est très impatients.
#4 Comment as-tu eu le morceau de US Girls ? Et celui de Best Coast ?
Une ballade agitée vers cette vie lunaire. L’envie de sortir un 7″ avec Meghan/ U.S. GIRLS correspond aux premiers battements de ciseaux du label. L’année dernière, en juin, je me suis – enfin – décidé à lui
écrire une longue lettre virtuelle, et à lui envoyer un paquet, argenté, avec nos premières sorties. Et wow, elle a tout de suite été motivée par ce projet. La rencontre avec Meghan a été un peu épique. En septembre dernier (à l’époque j’habitais Montréal), on a décidé de louer une voiture pour aller la voir jouer (avec Grouper) dans la banlieue de Philadelphie. Neuf heures de route et une pause repas dans un centre commercial pour zombies. On s’est retrouvés, après s’être perdus, dans une espèce de
chalet-chapelle avec boule à facettes, en plein milieu d’un campus sombre. Entourés par 14 collège-kids bien alcoolisés – et sûrement là par hasard/ dépit – en train d’halluciner sur la distance qu’on avait
parcouru pour venir voir les deux groupes. On a repris la route pour Montréal après le concert. I.N.T.E.N.S.E. Un chouette souvenir, une belle rencontre et l’occasion de parler concrètement du 7″. En
rentrant à la maison, j’avais 1000 fois plus envie encore de faire ce disque. L’enregistrement à finalement pris du temps entre son album, la tournée en Europe et la vie quotidienne parfois compliquée. Quasiment
un an. Mais peu importe, je suis vraiment heureux qu’on ait pu sortir ‘Lunar life’, surtout qu’il est un peu spécial dans sa discographie. Et puis parfois ça va vite, vite, vite. Comme pour ce split 7″ entre Best Coast et Jeans Wilder. J’étais en contact avec Andrew/ Jeans Wilder et on avait très envie de sortir son morceau ‘tough guys’ qui est sur le disque – en vinyle. Un jour, j’ai débarqué avec cette idée de split et une liste (dont Best Coast en numéro 1) de groupes. Il a été super emballé par cette idée. Puis rien, plus de nouvelles pendant quelques jours. Et un matin, je reçois un mail de sa part me disant qu’il revient de Los Angeles et que Bethany (Best Coast) est partante pour le disque. Le soir même je recevais les deux morceaux et quelques photos – inutilisables, vu leur définition – pour l’artwork. Wow !
#5 Comment s’est fait la collaboration avec le label La Station Radar ?
Un échange de mails pour un échange de disques. Qu’on a toujours pas fait d’ailleurs ! Ahah.
Fleur et Jérôme avaient ce projet de sortir un 7″ avec Terror Bird et on leur a proposé d’y participer. Simplement. Ce n’est pas toujours évident de collaborer quand on ne se connaît pas. Chacun à ses bonnes et mauvaises habitudes, ses rituels, ses envies graphiques. Mais tout s’est bien passé, c’était très enrichissant. C’est aussi un bon moyen de prendre un peu de recul sur ce que tu fais.
Et puis on a eu l’occasion de se rencontrer. La dernière fois c’était pendant le Midi festival. Tard le soir, un peu saouls, du sable dans les yeux. Un chouette moment ou l’on a pu parler – concrètement – de
notre prochaine collaboration pour la sortie du Lp de Jeans Wilder, ‘Nice Trash’, prévu pour cet automne. Ils prévoyaient de sortir ce disque depuis un petit moment. On avait très envie de refaire quelque chose avec Jeans Wilder. Je crois qu’ils l’ont senti, je crois qu’on leur a aussi soufflé. On est tous très impatients.
En France, on n’est ni vraiment affilié à la scène indé, ni à la scène expérimentale. Et, on a finalement développé plus d’amitiés à l’étranger. Je ne vais pas parler en leur nom mais c’est agréable d’avoir quelqu’un avec qui partager tout ça. Se sentir un peu moins seul, prendre des chemins parallèles. Une belle rencontre. Vraiment. Et ce ne sera sans doute pas la dernière collaboration entre nous.
#6 Quels autres projets et disques prévois-tu pour les prochains mois ?
Les mois sont devenus des jours, pour certains. Impatience. Le second split de la série de 45 tours sortira fin août. D’un côté, MATHEMAGIC, enfants de la vague, plages de Toronto. De l’autre, les sauvages YOUNG PRISMS, San Francis/low/co, qui ont déjà enregistré des morceaux magnétiques pour Mexican Summer ou Transparent. Fin août toujours, ou début septembre, une mystérieuse cassette,
limitée à 30 copies, avec C V L T S. Psychédélisme récent, lumière blanche, sur images-neige VHS.
Vers octobre/ novembre, un nouveau split 45 tours entre COASTING, lo-fi(lles)-pop-wow de New York et READING RAINBOW, mélodies-tornades-pop de Philadelphie. Pour la même période, comme je
l’écrivais un peu plus haut, le Lp de Jeans Wilder, avec la Station Radar. Et sans doute un peu plus tard, un split-collaboration entre PRINCE RAMA et SLEEP ∞ OVER. Prince Over ou Sleep Rama. Et, et, et
peut être un autre Lp !
AC est un très chouette label. quasi 2 ans plus tard, le lp de Virot reste un petit miracle folk dont je n’ai pas encore fait le tour (et dieu sait si j’y reviens souvent).
perte de mémoire collective : encore et encore ce dont on parle souvent ici…nous nous noyons…
Très belle interview d’un homme que l’on sent être un véritable passionné de musique et d’art.
C’est très réconfortant et encourageant, dans notre époque capitaliste où règne le dictat de la « consommation de masse », de voir de tel personne dirigeant des labels : On se dit que la création artistique musicale (ou autre) a encore de beaux jours devant elles, que les artistes novateurs, avant-gardistes et originaux ont encore des « refuges » pour publier leurs œuvres !!!
Le disque du lyonnais François Virot est une œuvre d’une extrême beauté, subtile mariage sonore entre une pop libre, un folk lunaire et de magnifiques prouesses vocales et guitaristiques.
Un label à découvrir (pour moi en tout cas) !!!!!!!!
« Un label à découvrir (pour moi en tout cas) !!!!!!!! »
mec….
belle interview Rémi, mais dis donc tu aurais pu citer clapping pour la collaboration sur « Yes or No », vilain va!
bisous!
Atelier rules!
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